Antananarivo, 5 avril 2024 – Un débat sur le thème “La corruption est-elle une fatalité ?” a été organisé à l’IEPAG Madagascar, réunissant quatre éminents panélistes :
– Andry Raodina, enseignant-chercheur en science politique et directeur des études à l’IEP Madagascar ;
– Brice Lejamble, ancien Secrétaire exécutif du Comité pour la Sauvegarde de l’Intégrité ;
– Ketakandriana Rafitoson, Vice-présidente du conseil d’administration de Transparency International et
– Tsimihipa Andriamazavarivo, coordinateur de l’ONG Tolotsoa.
Les intervenants ont partagé leurs réflexions, opinions et expériences sur ce fléau omniprésent dans le paysage politique et social.
Andry Raodina ouvre le débat en remettant en question l’expression “corruption endémique”, soulignant que cette qualification relève d’un culturalisme. Il a argumenté que la conception de la corruption évolue dans le temps et selon les contextes culturels, prenant l’exemple du lobbying pour illustrer cette relativité conceptuelle.
Ketakandriana Rafitoson a proposé une définition plus précise de la corruption comme “abus d’un pouvoir institué, à des fins indues”. Elle critique la typologie communément admise, soulignant l’importance de ne pas sous-estimer la “petite” corruption qui peut être aussi dévastatrice que la “grande” corruption.
Le débat a également abordé la question de la responsabilité individuelle dans la lutte contre la corruption. Raodina a souligné l’importance des justifications morales de la corruption comme moteur humain de celle-ci. Cette thèse a été appuyée par Brice Lejamble, qui a partagé une anecdote révélatrice sur la rationalisation de la corruption par un policier justifiant les rakets pour combler son maigre salaire. En effet, selon Raodina, la prédominance de la pensée néolibérale depuis les années 90 a exacerbé cette confrontation avec l’État et l’Administration, créant un déséquilibre entre le niveau de vie des fonctionnaires et des employés du secteur privé.
Malgré les justifications qui peuvent sous-tendre la corruption, Ketakandriana Rafitoson rappelle que corrompre ou être corrompu reste un choix. Comme les interactions humaines sont le théâtre de ces pratiques, la digitalisation se présente alors comme un moyen efficace. Mais Brice nous avertit immédiatement que les systèmes informatiques demeurent maniables par l’homme. Par conséquent, d’après Ketakandriana, la restauration des valeurs morales et humaines demeure la solution primordiale.
L’indépendance des instances de lutte anti-corruption a également été un sujet de préoccupation. Ketakandriana a regretté le manque de ressources allouées à ces institutions, soulignant que trop souvent, les politiques anti-corruption ne sont que des façades pour satisfaire les bailleurs de fonds internationaux. Tsimihipa Andriamazavarivo, fort de son expérience de coordinateur d’ONG, a corroboré cette affirmation, soutenant que la corruption est également un héritage importé de l’époque coloniale française.
Brice Lejamble a exprimé son regret qu’aucun chef d’État malgache n’ait jusqu’ici placé la lutte contre la corruption au centre de son programme. Tsimihipa Andriamazavarivo a affirmé que cette politique reste souvent au stade des déclarations, sans réelle action. Brice a attribué cette inertie à la pression des bailleurs de fonds, ce que Raodina appelle la “conditionnalité des aides au développement”.
Les intervenants ont également souligné l’importance de la conscientisation citoyenne et de la volonté politique dans la lutte contre la corruption. Tsimihipa Andriamazavarivo a souligné la nécessité d’intervenir à différents niveaux pour obtenir un changement tangible.
La note linguistique du jour provient de Ketakandriana qui préconise la réhabilitation de “fahalovana” (le fait d’être pourri) pour traduire la corruption, au lieu de “kolikoly” dont la structure en répétition engendre une atténuation du sens de ce fléau contre lequel il faut entrer en guerre.
Notre débat du mois mit en lumière la complexité de la corruption et l’importance d’une approche multi facette pour la comprendre et la combattre efficacement. Malgré l’ampleur des défis, les participants ont affirmé leur conviction que la corruption n’est pas une fatalité et qu’elle peut être surmontée par des efforts collectifs et une volonté politique réelle.